14/04/2014
Erri De Luca : poète, romancier, bibliste, poursuivi au pénal à la requête de 'Lyon-Turin-Ferroviaire'
''Je risque la prison. Et si je suis condamné, je ne ferai pas appel.''
Traducteur expert du livre de la Genèse, l'écrivain révolutionnaire de Naples appelle au sabotage d'un "grand projet inutile" :
Napolitain, 64 ans, poète et romancier (Montedidio, Femina 2002), Erri De Luca est un personnage singulier : dénué de foi religieuse, il est fasciné par la Bible au point d'avoir appris l'hébreu, et lui a consacré des essais : Ora prima (1997), Nocciolo d'oliva (2002), Sottosopra (2007), Penultime notizie circa Ieshu/Gesù (2009), Le sante dello scandale (2011) ; et des traductions : Kohèlet (1996), Il libro di Rut (1999), Vita di Sansone dal libro Giudio/Shoftim (2002), Vita di Noé/Nòa (2004)...
Dans Nocciolo d'oliva, De Luca souligne le vrai sens du livre de la Genèse : tout autre chose qu'un permis de saccager la terre, selon le contresens commis depuis Lynn White en 1967 et qui vient de l'ignorance. En effet, explique l'hébraïsant, la polysémie de l'hébreu se perd dans les traductions « quand un seul verbe est disloqué en divers synonymes traduit avec des sens différents » : « Les verbes du travail et de la garde de la terre, avad et shamar, sont les mêmes, terriblement les mêmes, que celui du service dû à Dieu. Pour cette écriture ancienne, travailler la terre et la servir sont le même mot, le même empressement dû au service du sacré. Les voici : laavod et haadama, « servir le sol » (Bereshit/Genèse 2,5) et laavod et Yod Elohenu, « servir Yod/Dieu notre Elohim » (Shmot/ Exode 10,26). La terre est dans la sollicitude de Dieu. Les règles du repos sabbatique, un jour par semaine, un an tous les sept ans, marquent une insistance à la protéger d'une exploitation forcenée. Elles expliquent que la terre n'appartient pas à l'espèce de l'Adam, locataire et non propriétaire du sol... »
D'où l'ineptie de l'Occident quand il attribue à la Bible le saccage de la planète, pour s'en indigner bêtement ou s'en justifier stupidement.
D'où aussi l'ignorance des écolophobes accusant les écologistes chrétiens – dont les trois derniers papes ! – d'hérésie panthéiste... « Il est écrit à propos de Dieu : ''Aimer Yod votre Elohim et le servir dans tout votre coeur et tout votre souffle'' (Devarim/Deutéronome 11,13)», souligne De Luca : or cet « enthousiasme amoureux » lié au service de Dieu, n'est pas exigé « pour le travail-service de la terre ». Ne pas confondre. Mais ne pas séparer.
L'Occident – dont trop de chrétiens – ignore tout ça. Il s'est « installé bien loin de cette écriture » : choix « efficace pour le chiffre d'affaires », mais nuisible à la planète, donc à l'homme... Le remède ? « Si l'on cherche à savoir où nous nous sommes détachés du sentiment sacré d'habitants d'un sol, il faut remonter aux deux verbes hébreux et sentir le coup sec par lequel nous avons séparé le ciel de la terre. Lire l'Ecriture sainte, la lire doucement, entendre son propre souffle dire avad et shamar et, l'espace d'un moment, recoudre en soi-même l'abîme de distance... »
Pourquoi parler ce matin de la Genèse et d'Erri De Luca ? Parce que l'écrivain est poursuivi pour son appel à saboter le chantier du TGV Lyon-Turin : entreprise titanesque (25 milliards d'euros, un tunnel Savoie-Piémont de 57 km) qui soulève la colère des riverains du Val de Suse et des défenseurs de l'environnement. C'est le groupe LTF (Lyon-Turin ferroviaire, aujourd'hui partie civile) qui a déclenché l'action pénale. Dans Le Monde du 12 avril [*], De Luca déclare :
« Ces travaux sont essentiellement destinés à drainer des fonds publics vers les entreprises qui s’en mettent plein les poches, alors qu’il existe déjà une ligne traditionnelle, utilisée à moins de 20 % de ses capacités. L’Italie est pleine de chantiers abandonnés, des ponts, des routes, des hôpitaux… Il y en a des centaines. D’une certaine façon, ces chantiers-là se sont auto-sabotés. C’est un modèle de développement... »
« Depuis 2008, le chantier du TGV est militarisé et les habitants doivent présenter leurs cartes d'identité pour aller travailler dans leurs vignes. Le gouvernement a levé une armée contre la population locale, qui est entrée en résistance voilà des années... À Turin, une équipe de magistrats ne s’occupe que de cela. Ils se comportent comme les chiens de garde de la LTF. »
« Les policiers de la Digos, le département en charge des affaires de terrorisme, se sont présentés chez moi le 24 janvier avec un avis de mise en examen pour ''incitation à la violence''... Le motif : deux phrases reproduites le 1er septembre 2013 dans la version italienne du Huffington Post. Je disais : "Le TGV doit être saboté", et ensuite que ces actes de sabotage ''sont nécessaires pour faire comprendre que le TGV est un chantier inutile et nocif ''.»
« Les lois ne sont que de passage. Elles changent. La démocratie, c’est aussi la possibilité de changer les choses. Or, ce sont les minorités qui font bouger les choses, les lois, les politiques. C’est comme dans le domaine scientifique : quand Copernic a écrit 'De Revolutionibus Orbium Coelestium', il était tout seul. »
[*] à lire in extenso : http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/04/10/erri-de-luca-le-devoir-moral-de-desobeissance-existe_4399462_3260.html
> En français, Erri De Luca et la Bible : Première heure (Rivages 2000), Noyau d'olive (Gallimard 2004), Les saintes du scandale (Mercure de France 2013).
11:59 Publié dans Ecologie, Economie- financegestion, Idées, Religions, Société | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : écologie, littérature, bible
Commentaires
ERRI DE LUCA
> extraordinaire personnage que cet écrivain.
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Écrit par : emmeline / | 14/04/2014
PÉRIPHÉRIES
> Erri De Luca : un amoureux de la Bible qui n'a pas la foi !
Mais qui est passionné par le message de la Genèse, et de toutes les Ecritures.
Un homme des "périphéries" comme dit le pape.
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Écrit par : Nati / | 14/04/2014
ATHES MYSTIQUES
> J'ai toujours été fasciné par les artistes "athées mystiques", qui, de fait, se laissent toucher par Dieu et le font connaître…par leur oeuvre.
Pasolini, Crumb (j'ai trouvé sa "Genèse" fascinante, car tout autant fidèle aux Ecritures que totalement "crumbienne"), D. Ratte (l'auteur du "voyage des pères" et de "l'exode selon Yona)....
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Écrit par : Feld / | 14/04/2014
DE LUCA NOUS INTERPELLE
> Oh! De Luca un de mes écrivains préférés !
Son livre "Au nom de la mère" raconte la grossesse de Marie avec un humanisme, une simplicité qui nous mettent à genoux devant le mystère de toute naissance.
Son travail sur la Bible (chaque matin avant d'aller à l'usine) était une manière de résister au matérialisme destructeur du monde ouvrier.
C'est un écrivain à l'écriture lumineuse ! Une interpellation aussi pour ceux qui croient que croire est automatique. Il lit la Bible avec passion tous les jours depuis des années et ne se range pas dans les bataillons de chrétiens.
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Écrit par : Antoine le jardinier / | 14/04/2014
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